Avorter est-il plus sûr ou plus dangereux qu’accoucher ?
Cela n’est peut-être pas la première question que l’on se pose quand on réfléchit à l’avortement, pourtant une étude publiée dans l’American Journal of Obstetrics and Gynecology en 2004, confirmée par d’autres études ultérieures, révèle que le taux de mortalité après un avortement est près de trois fois plus élevé pour la femme par rapport à une grossesse menée à terme. Cet écart, qui semble très élevé, pose question : comment l’expliquer ?
Le constat d’une surmortalité maternelle post-avortement
Une recherche menée en Finlande entre 1987 et 2000, auprès de femmes âgées de 15 à 49 ans, a analysé les déclarations de naissance, d’avortement et les certificats de décès. Publiée en mars 2004 dans l’American Journal of Obstetrics and Gynecology, elle montre que :
- Le taux de mortalité annuel des femmes ayant avorté l’année précédente est 46 % plus élevé que celui des femmes non enceintes.
- Le taux de mortalité des femmes ayant accouché est inférieur à celui des femmes non enceintes : 28,2 décès pour 100 000 contre 57 pour 100 000.
- Les femmes ayant subi un avortement présentent un taux de 83,1 décès pour 100 000, et celles ayant fait une fausse couche tardive, 51,9 pour 100 000.
Cette étude conclut que la grossesse est un « facteur de bonne santé » pour les femmes. Elle souligne également que les femmes ayant avorté sont plus susceptibles de mourir de causes non liées à la grossesse, notamment de causes violentes (6,3 fois plus).
Une étude américaine attribue la surmortalité à une fréquence accrue de dépressions post-avortement
Une autre étude, publiée dans le Southern Medical Journal, a examiné les certificats de décès et les remboursements Medicaid de 173 000 femmes californiennes à faibles revenus. Les résultats indiquent que :
- Les femmes ayant avorté ont deux fois plus de risques de mourir dans les deux ans suivant l’avortement.
- Ce risque accru persiste pendant au moins huit ans.
- Comparées aux femmes ayant accouché, celles ayant avorté ont près de trois fois plus de risques de mourir d’un problème circulatoire et cinq fois plus de risques de décès par accident cérébral sur huit ans.
Les chercheurs attribuent ces résultats à une fréquence accrue de dépressions et de crises d’angoisse post-avortement.
D’autres études confirment la tendance
Des études menées en Europe apportent des résultats similaires, notamment grâce aux études de liaison de registres, très fiables dans les pays scandinaves.
En Finlande :
- Risque de suicide : 6 à 7 fois plus élevé après un avortement.
- Risque d’homicide : 10 à 14 fois plus élevé.
Au Danemark :
- Risque de décès 244 % plus élevé après un avortement précoce.
- Et jusqu’à 615 % plus élevé après un avortement tardif, comparé à un accouchement.
Aux Etats-Unis :
- Une étude menée en Californie a montré que les femmes ayant avorté sont :
- 62 % plus susceptibles de mourir de toutes causes.
- 82 % plus susceptibles de mourir d’un accident.
- 154 % plus susceptibles de se suicider, comparées à celles ayant accouché.
Comment expliquer ce phénomène ?
Les études finlandaises (Gissler et al., 2004) et américaines (Reardon et al., 2002), ainsi que des recherches complémentaires, identifient plusieurs facteurs expliquant pourquoi le taux de mortalité est plus élevé chez les femmes ayant avorté comparé à celles ayant accouché. Voici les principaux arguments :
1. Risques accrus de causes violentes
- Suicide, homicide et accidents : Les femmes ayant avorté présentent un risque significativement plus élevé de décès par causes violentes. Selon Gissler et al. (2004), le risque de décès par causes violentes est 6,3 fois plus élevé après un avortement qu’après une naissance. Une étude danoise (1980-2004) corrobore cela, avec un risque de suicide 6 à 7 fois plus élevé et d’homicide 10 à 14 fois plus élevé.
- Explication : Ces risques sont souvent liés à des facteurs psychosociaux, comme la dépression ou les crises d’angoisse post-avortement, qui peuvent exacerber des comportements à risque ou des situations de vulnérabilité (violence domestique, troubles mentaux).
2. Complications physiques à long terme
- Maladies cardiovasculaires et accidents cérébraux : Reardon et al. (2002) montrent que les femmes ayant avorté ont près de 3 fois plus de risques de mourir de problèmes circulatoires et 5 fois plus de risques de décès par accident cérébral sur une période de 8 ans. Ces complications pourraient être liées à des stress physiologiques ou à des séquelles indirectes de l’avortement.
- Exemple : Des études postérieures mentionnent des complications comme le placenta accreta lors de grossesses ultérieures, augmentant les risques de morbidité et de mortalité.
3. Facteurs psychosociaux et dépression
- Impact psychologique : Les chercheurs (Reardon et al., 2002) suggèrent que l’avortement peut entraîner une fréquence accrue de dépressions et de crises d’angoisse, qui augmentent le risque de comportements autodestructeurs (suicide, toxicomanie) ou de négligence de la santé.
- Données : Une étude finlandaise (2001-2012) indique un risque de mortalité par suicide significativement plus élevé après un avortement, potentiellement lié à des troubles psychologiques non traités.
4. Facteurs socio-économiques et vulnérabilités préexistantes
- Populations à risque : Les femmes ayant recours à l’avortement appartiennent souvent à des groupes socio-économiquement défavorisés (pauvreté, faible accès aux soins), comme étudié dans Reardon et al. (2002) avec des femmes sous Medicaid. Ces facteurs augmentent le risque de mortalité indépendamment de l’avortement, mais peuvent être amplifiés par celui-ci.
- Contexte : Les études notent que les femmes ayant avorté sont plus susceptibles de vivre dans des environnements à risque (violence, instabilité), ce qui contribue aux taux élevés de décès par homicide ou accident.
5. Effets à long terme
- Persistance du risque : Reardon et al. (2002) montrent que le risque accru de mortalité persiste jusqu’à 8 ans après l’avortement, contrairement à une naissance, où le risque diminue rapidement. Cela suggère des effets cumulatifs, tant physiques que psychologiques, liés à l’avortement.
- Comparaison : Les femmes ayant accouché bénéficient d’un « facteur de bonne santé » (Gissler et al., 2004), potentiellement dû à un suivi médical plus rigoureux pendant la grossesse et à des effets protecteurs de la maternité.
Limites des études
- Corrélation vs causalité : Les études ne prouvent pas toutes que l’avortement cause directement ces décès. Les facteurs préexistants (pauvreté, troubles mentaux, violence) peuvent jouer un rôle significatif.
- Contexte méthodologique : Les études de liaison de registres (Finlande, Danemark) sont robustes, mais les données américaines souffrent de sous-déclarations, limitant les comparaisons.
Conclusion
Les études identifient des risques accrus de mortalité après un avortement, principalement dus à des causes violentes (suicide, homicide), des complications cardiovasculaires, des troubles psychologiques et des vulnérabilités socio-économiques. Ces facteurs, combinés à des effets à long terme, expliquent les différences observées avec les femmes ayant accouché.
Sources :
- Gissler M, Berg C, Bouvier-Colle MH, Buekens P. Pregnancy-associated mortality after birth, spontaneous abortion or induced abortion in Finland, 1987-2000. Am J Ob Gyn 2004 ; 190 :422-427. (Etude dirigée par Mika Gissler du Centre National de Recherche et Développement Finlandais pour le Bien-Être et la Santé)
- Reardon DC, Ney PG, Scheuren F, Cougle J, Coleman PK, Strahan TW. Deaths associated with pregnancy outcome : a record linkage study of low income women. South Med J 2002 Aug ; 95(8) :834-41.
- Reardon D. C., Coleman P. K. 2012. “Short and Long Term Mortality Rates Associated with First Pregnancy Outcome : Population Register-based Study for Denmark 1980-2004.” Medical Science Monitor 18 :71–76
- Gissler et al., Eur J Public Health, 2005
- Raymond EG, Grimes DA. Obstet Gynecol 2012 ;119(2) :215-9