Conséquences de l’IVG sur la fatrie
par Françoise Lefèvre, consultante psychologue
Au fils de mes consultations, j’ai pu approfondir le syndrome post-IVG et particulièrement sur les conséquences sur la fratrie. En effet, si on parle plus souvent de ce syndrome chez la femme ayant subi un avortement, on parle moins de ce syndrome dans la fratrie ‒ que les enfants soient nés avant ou après l’interruption de la grossesse ‒, ce que l’on appelle aussi le syndrome du survivant.
Mais qu’est-ce qu’un « survivant » ? : « C’est une personne qui n’est pas morte alors qu’elle avait plus de risques de mourir que de survivre ». Or, si tout le monde admet aujourd’hui la notion de survivant de guerre, d’attentat, d’accident ou de catastrophe naturelle, la notion de « survivant de l’avortement » est niée et les « intéressés » doivent se taire… Ainsi par exemple il n’y a pas de cellule d’écoute psychologique comme on peut le voir dans les autres circonstances.
Pourtant, l’association canadienne U2RDP (affiliée à l’International Hope Alive Counselors Association, IHACA) insiste sur la différence avec les autres « survivants » : « Le survivant d’avortement a ceci de particulier que le danger vient non de l’extérieur mais de ceux qui devraient le protéger le plus », il a donc un poids supplémentaire à surmonter et il paraît évident que des conflits supplémentaires surviendront par la suite. D’ailleurs, Jacques van Rillaer, professeur émérite de psychologie à l’université de Louvain, dit bien que « des souffrances qui résultent d’une action humaine volontaire sont, en général, davantage traumatisantes que celles qui résultent d’une catastrophe naturelle ».
Dans les différents exemples et témoignages que l’on peut trouver dans des ouvrages, des études ou tout simplement sur des blogs, français ou étrangers, on peut constater qu’il y a de véritables « séquelles » sur la fratrie. Je citerais quelques références intéressantes :
1. Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste, évoque dans son livre Sexualité féminine : libido, érotisme, frigidité[1] une situation qu’elle a vécue dans son cabinet : Georges, 7 ans, s’oppose à tout, fait des cauchemars et dessine des symboles évoquant la mère et la mort. La mère n’avait jamais dit à personne qu’elle avait avorté, et l’enfant l’a deviné. Georges le dit à Françoise Dolto en consultation : « Non, elle l’a tué. Il voulait vivre. Elle l’a tué ». Cela peut paraître choquant, et pourtant cette intuition de l’enfant d’un événement passé dans le ventre de sa mère, où il a séjourné lui-même neuf mois, peut s’expliquer sur un plan biologique et psychique.
2. Le Docteur Benoît Bayle dans son article « Conception humaine et troubles de la personnalité » (consultable sur www.carnetpsy.com) témoigne du cas de Monsieur V., âgé d’une cinquantaine d’années, venu consulter pour un syndrome dépressif réactionnel au décès de son frère. Cet homme parle dès le premier entretien de la série d’avortements provoqués avant sa naissance. « Ma mère a réussi à faire passer les autres, mais pas moi », rapporte-t-il. Et ce patient d’exprimer dans de multiples registres son sentiment permanent d’être condamné à survivre. Il ne supporte pas de survivre à ses deux frères, tous les deux disparus. Il raconte également qu’il a la peau dure, puisqu’il a fait huit états de mal asthmatique ayant nécessité des séjours prolongés en réanimation. Il explique aussi qu’il s’est toujours considéré comme « quelqu’un d’à part », d’exceptionnel, au-dessus des autres. Il entreprend des calculs à partir des âges de ses frères, selon lesquels il vivra très vieux, « jusqu’à quatre-vingt-seize ans », malgré sa maladie, comme s’il était capable d’être immortel. Sa demande insistante de psychothérapie attire l’attention : il voudrait trouver un sens à sa vie, afin de vivre plutôt que de « survivre ».
3. Thomas Verny, psychanalyste, dans son livre La vie secrète de l’enfant avant sa naissance[2], cite une affaire traitée par un obstétricien en Scandinavie. Après avoir accouché d’un enfant normal à terme, il a remarqué que le bébé ne s’était pas nourri au sein de la mère. Intrigué par ce comportement inhabituel, il a porté le bébé à une autre mère allaitante qui a accepté de mettre l’enfant au sein. Étonnamment, l’enfant a répondu par l’allaitement vigoureusement. De retour auprès de la mère de l’enfant, il lui a demandé si quelque chose de traumatique s’était produit pendant la grossesse. Elle lui a dit qu’elle n’avait pas voulu continuer la grossesse et avait, en fait, prévu d’avoir un avortement. Cependant, son mari s’y est opposé et l’a convaincue de poursuivre sa grossesse. Thomas Verny a conclu que l’enfant a connu un rejet maternel in utero, d’où son comportement par rapport à l’allaitement.
6. Le Docteur Labarthe, pédiatre, a commencé à s’interroger sur la question lorsqu’au cours d’une consultation une mère l’avait remercié de l’avoir « déculpabilisée » de l’avortement qu’elle avait fait quelques jours auparavant, et dont il n’était pas au courant. Une chose qui lui semble pouvoir évoquer un avortement chez la mère est l’angoisse de l’enfant dans le cabinet médical, se traduisant par colère, crise de nerfs… et la difficulté extrême pour une maman de changer les couches de son petit quand celui-ci se débat dès qu’il est en position allongée. À la suite de cela, en présence d’enfants présentant des troubles du comportement, il va poser des questions à la maman sur les circonstances de la grossesse. Il a ainsi recueilli des données sur une période de dix ans[3]. Il a ainsi remarqué que plus la mère avait fait d’avortements, plus il y avait de risques d’anorexie chez les autres enfants (4,9 % contre 18,2 %).
Son travail a montré, grâce à ses données statistiques, que le nombre d’avortement chez une même femme influence le comportement et par voie de conséquence la santé des enfants « survivants ». Il a également fait l’expérience de demander aux enfants de dessiner leur famille, pendant qu’il parle avec la maman. En effet, si les enfants ne peuvent pas verbaliser leurs souffrances, il n’en est pas de même dans leurs dessins. Ils s’expriment d’une autre façon. Les dessins révèlent donc des choses insoupçonnées et insoupçonnables. Le Docteur Labarthe a remarqué que les enfants représentaient l’enfant non né par un rond barré ou par un personnage non fini. Enfin il arrive que, quand l’enfant est au courant de l’avortement, il le transforme par un cœur ou un soleil. Voici deux exemples :
[1] Scarabée & Co/A.M. Métailié Éditeur, 1982.