Délit entrave : audition à l’Assemblée de M PHILIPPE

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délit d'entrave à l'IVG

Délit entrave à l’IVG : Communication faite par Mme Marie PHILIPPE lors de son Audition à l’Assemblée Nationale le 24 novembre a 10h par Mme Coutelle, putée rapporteur de la proposition de loi N° 4118 sur l’extension a internet du « délit d’entrave a l’IVG »


Merci Madame la rapporteur de votre invitation.

Je vais pouvoir enfin m’exprimer au nom de notre association alors que depuis près de huit ans nous faisons l’objet de nombreux dénigrements par voie de presse. Et ce, rapidement apres notre site IVG.net a disposé d’une certaine visibilité sur internet. Mais je ne vais pas m’étendre sur le sujet de ces attaques y compris celles des ministres PS et de votre groupe parlementaire.

Mon exposé comportera 2 parties :

1. Explication de notre action chez ivg.net

2. Constat des problématiques que soulèvent votre loi sur le terrain.

En pratique, qu’allons-nous pouvoir dire ?… ou ne pas dire ? Pour nous, c’est important car nous entendons respecter les lois mais nous voulons aussi faire tous les recours possibles pour faire échec à votre projet. Enfin, je laisserai la parole à nos deux juristes Claire et Gregor rappeler des principes de Droit tant Européens que Constitutionnels.

I. Exposé de notre action :

Chez nous, Il y en a deux grandes catégories d’appels téléphoniques ( ou de messages texte) :

– Avant l’IVG (2/3 des contacts)

– Apres l’ivg (1/3 des contacts)

1. Avant l’IVG, il y a trois sous-catégories d’appelantes:

  1. Celles qui sont déterminées à faire une IVG .

Dans ce cas, elles veulent des informations factuelles, nous leur donnons. L’entretien est assez court. (Cela fait environ 20 % des appels pré-ivg.)

B. Celles qui sont ambivalentes. Elles sont nombreuses et elles trouvent notre site qui est à leur écoute. On peut dire que 40 % environ des appelantes en interrogation pré-ivg sont « ambivalentes ».

A ce propos, les accroches de notre site et notre page facebook (pour employer un terme marketing) sont assez explicites : « IVG, vous hésitez ? venez en parler ! » ou « vous envisagez l’IVG ?». Pourquoi ? Parce que les femmes ne sont pas « binaires » par rapport à leur grossesse. Ce n’est pas « Grossesse désirée » versus « Grossesse non désirée » . Ce n’est pas aussi simple. Et puis parfois cela peut changer du jour au lendemain, dans un sens ou dans l’autre ! Que doit-on faire ? Si nous lui disons « tu veux garder le bb ? on va t’aider et te soutenir ! » et que le lendemain, elle change d’avis ? Allons-nous faire un délit d’entrave ?

Elles sont souvent hésitantes, car elles savent bien qu’une IVG, ce n’est pas anodin ! Nous les écoutons ! Nous faisons un travail psychologique assez simple. Nous les encourageons à dissiper leurs peurs et leurs angoisses. Nous faisons une écoute que je qualifie « d’amicale ». Elles craignent aussi la réaction de leur conjoint même si en apparence, les conjoints les laissent assez libre. « Je te soutiendrai quoi que tu fasses » disent-ils souvent… Elles ont des problèmes de logement ou bien une situation professionnelle précaire.

Notre travail consiste donc à les rassurer, les aider parfois socialement par un mise en relation avec le bon service, la bonne personne dans sa ville. On apporte aussi matériellement une aide d’urgence grâce à notre association ou d’autres structures proches ou lointaines. Les cas sont très diversifiés et nous n’avons pas de discours « type ». Chaque femme doit être respectée là où elle en est.

Nous respectons leurs choix mais ce sont souvent, elles, qui nous demandent implicitement ou explicitement de l’aide. Il y a aussi beaucoup de difficultés financières. Sans doute bien des drames seraient évités si les pouvoirs publics pouvaient être plus efficace… (cf nos nombreux témoignages sur nos sites)

C. Celles qui sont poussées, harcelées, fortement incitées par leur conjoint (ou ex) ou leur famille ( ou les deux !) ! Elles sont nombreuses hélas (cela fait 40 % de nos appels en pré-ivg !). Elles ne veulent pas vraiment avorter et savent ou comprennent qu’en se tournant vers nous, elles seront au moins écoutées et peut-être aidées.

Elles sont seules ! Sans protection. Hélas, aucune loi pénale ne vient sanctionner cette forme de harcèlement moral qui ne fait que s’amplifier depuis des années ! La femme enceinte a de moins en moins de protection au niveau du droit ! Elle subit de plus en plus une forme sournoise de domination par l’homme qui ne la respecte plus. Notre rôle consiste à les aider à sortir de cette tutelle qui les aliène. Nous leur conseillons de ne pas céder au chantage, aux menaces, aux violences verbales et quelque fois physiques.

Nous les aidons et nous les rassurons déjà en leur disant qu’elles ne sont plus seules. Nous faisons là encore une tâche sociale en les mettant en relation avec le bon service. Nous leur conseillons de faire la bonne démarche (par ex une plainte à la police…) ou encore par une aide d’urgence. Nous n’avons pas de discours « type ».

J’insiste particulièrement sur ce point car il serait bon d’avoir enfin une loi pénale (analogue à celle sur le harcèlement moral ) qui sanctionnerait le harcèlement du partenaire ou de la famille visant à contraindre une femme à faire une IVG ! Aujourd’hui, certes, l’article 222-33-2-1 réprime « le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » mais nécessite de prouver à postériori une altération de la santé et ne s’applique ni au « petit ami », ni à la famille. Cette disposition n’est donc pas protectrice.

Demain, vendredi 25 novembre, c’est la journée internationale contre les violences faites aux femmes. Cela serait un signal fort si le législateur, par voie d’amendement, pouvait faire quelque chose dans ce sens….

De plus en plus de femmes se tournent vers nous après l’IVG. Nous sommes là encore dans l’empathie et l’ecoute. Nous écoutons leurs complaintes mais parfois nous sommes assez impuissantes. Nous essayons d’avoir les bonnes paroles de réconfort car elles sont en souffrance. Nous les aidons du mieux que nous pouvons sans empiéter sur un domaine médical ou psychiatrique qui n’est pas le nôtre… Nous avons beaucoup de succès (42.000 likes) sur notre page facebook car elles peuvent échanger entre elles et voir qu’elles ne sont pas seules. C’est déjà un pas dans l’acceptation de leur mal-être car oui, il y a beaucoup de souffrance après une IVG … (cf nos témoignages).

Madame Coutelle, votre proposition de loi ne porte pas seulement atteinte à la liberté de la presse (ne faut-il pas rappeler qu’un site internet est assimilé juridiquement à un organe de presse …) et d’expression (et le plus souvent dans le cadre privé d’un entretien téléphonique…). Votre projet de pénalisation de prétendues « tromperies » ou « menaces », aurait un impact très négatif sur notre action de soutien aux femmes en souffrance. Cela serait immanquablement une régression de la liberté des femmes à s’enquérir d’informations diversifiées et non gouvernementales sur la question de l’IVG. Vous empêchez les femmes d’exprimer leurs douleurs en dehors d’un cadre réglementaire. Vous allez censurer les femmes que vous prétendez défendre !

II. Sur le terrain :

J’en viens aux problématiques que soulève votre loi sur le terrain et j’ai lu les motifs de la proposition de loi :

« les opinions anti-IVG de leurs auteurs ne sont pas clairement affichées voire délibérément masquées »…

« En se faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas, ces sites détournent les internautes d’une information fiable et objective. Par ces pratiques, ils entravent aussi l’action des pouvoirs publics qui tentent de prodiguer une information claire et accessible quant aux conditions d’accès à l’IVG. Ils limitent ainsi l’accès de toutes les femmes au droit fondamental à l’avortement. Ces actes nécessitent une réponse pénale. ( cf exposé des motifs..):

Je note au passage que vous avez réécrit votre texte en supprimant le 3eme alinéa par voie d’un amendement ( N°SA33) . Et vous dites « finalement on ne veut pas sanctionner les opinions et les intentions ! » (cf exposé sommaire) . Mais l’objet réel de cette réécriture est une tentative pour éviter l’anti-constitutionnalité de votre loi comme vous le disiez hier en commission.

Votre texte est maintenant modifié pour faire rejoindre les actes en question à ce qui est déjà punissable depuis des années par le deuxième alinéa. Vous ajoutez ainsi une incrimination pour des actes qui seraient fait « par voie numérique ou téléphonique ». Vous prévoyez dans ce nouveau texte de sanctionner des « menaces » qui pourraient s’exercer sur internet et qu’il faudrait d’urgence stopper. « Or, aujourd’hui, ces menaces s’exercent principalement sur internet. » dites-vous dans l’exposé des motifs de votre amendement SA33. Cela est toujours possible en théorie mais cela me semble assez chimérique ! Nous ne sommes pas idiotes ! Nous n’avons jamais menacé personne et nous n’allons pas commencer … J’aimerais avoir des exemples précis d’actes délictueux possibles au vu de ce que je viens de vous décrire de notre action. Votre texte n’est pas clair sur ce sujet comme sur le reste. Il laisserait libre cours aux provocations idéologiques de nos adversaires, aux faux-témoignages, ou à des jugements arbitraires de tribunaux « audacieux ».

Mais nous pensons et espérons, s’il est voté, qu’il sera ensuite censuré tant par le Conseil Constitutionnel, la jurisprudence de la Cour de Cassation ou la Cour Européenne des Droits de l’Homme car en matière pénale, « les textes comportant une sanction pénale doivent être strictement interprétés, dès lors que leur signification est dépourvue de toute ambiguïté » (C. Cass. Crim. 10 Décembre 1985: Bull. crim N°396. ) . Et enfin « Les juges ne peuvent procéder par extension, analogie ou induction » (C. Cass. Crim. 9 Août 1913: DP 1917. 1. 69 et C. Cass. Crim. 29 Septembre 1992: Bull. crim. N°287.) .

Alexandre FLÜCKIGER, Professeur à l’Université de Genève, ( Cahiers du Conseil constitutionnel n° 21 – janvier 2007) rappelle dans cet article l’exigence de clarté de la loi avec les deux facettes du principe de clarté : la lisibilité et la concrétisabilité et affirme : « Un texte normatif est clair, dans le second sens du principe, lorsqu’il est aisément concrétisable par le juge qui doit statuer dans un cas d’espèce » .

Or votre texte ne comporte aucune de ces deux exigences.

Merci de votre attention.